Gabor Szabo était hongrois, il avait fui son pays en 1956 lorsque les chars russes traversaient la frontière pour stopper la révolution. Il était parti aux Etats-Unis avec juste sa guitare et un grand espoir : Percer. Ce n’était pas du tout évident. Il fallait se faire connaitre, trouver une formation prometteuse pour faire ses armes, forger son propre style, conquérir le public. Et accessoirement apprendre une nouvelle langue et s’adapter au mode de vie américain…
Il y est arrivé ! Il a connu et a joué avec le vibraphoniste Gary McFarland, le saxophoniste Charles Lloyd et le batteur Chico Hamilton. Trois ans avant Bitches Brew de Miles Davis, en 1966, il fut le premier à fusionner le jazz avec le rock. Dans le magnifique Jazz Raga il a dévoilé au monde entier son jeu de guitare fin aux influences orientales, son talent de compositeur mais surtout un son nouveau : une fusion jazz/rock/ragga indien à couper le souffle ! Il vivait avec son temps, les Beatles et les Rolling Stones faisaient partie de ses influences et son répertoire croisait souvent le leur avec des reprises de Paint It Black, Yesterday, Walk on by etc.
Son sommet est incontestablement Dreams, avec sa magnifique pochette, la « Vision » de John Austen, un illustrateur anglais du début du 20ème siècle. Il a été enregistré l’année révolutionnaire 1968, du côté de la Californie. Au bon moment, au bon endroit ! Entouré d’une équipe d’une dizaine de musiciens, Gabor Szabo a créé une rêverie avant-gardiste, un jazz très accessible (les guitaristes de Jazz sont tous très accessibles 😊), des sons et des mélodies qui portaient en grand sa signature musicale. Celle d’un immigré avec ses racines hongroises et sa vision profondément spirituelle et ouverte sur le monde.
Dreams n’a pas de frontières ou de barrières. C’est un pont entre l’est et l’ouest. La petite citation de James Joyce en couverture nous prédispose à la traversée : « L’ouest doit bouger l’est pour le garder éveillé … pendant que vous avez la nuit pour le jour ». Le voyage ne dure pas très longtemps, on est embarqué dans un vol supersonique où les notes, les rythmes, les percussions, les cordes vont très vite. Libres, aériennes, humaines.