DCD. Décédés ? Non, jamais de la vie … Les Dead Can Dance sont toujours actifs pour le plus grand bonheur de leurs fans et des amateurs de bonne musique. Celle qui n’est pas captée par les radars du grand commerce et destinée à une consommation de masse, jetable. Mais celle qui emprunte des chemins souterrains, escarpés pour être gravée sur du marbre comme les écrits des anciens. Celle qui porte la mémoire de l’humanité, qui est immortelle.
Brendan Perry, la moitié de DCD, est un amoureux de musiques orientales. Cela s’entend tout le long de la discographie du groupe. Parmi tous les instruments « exotiques » du monde oriental qu’il pratique, le bouzouki tient une place d’honneur. Son dernier projet solo est consacré à ce drôle d’instrument. Parti de l’Asie Mineure pour conquérir la Grèce en devenant son instrument national et récemment introduit dans le folklore irlandais. Ancêtre de la guitare, cousin du luth, descendant de la lyre, avec son long manche, sa caisse de résonnance semblable au ventre d’une femme enceinte et ses trois ou quatre cordes doublées.
Songs of Disenchantment est un ensemble de reprises de rebetiko, le blues grec né dans les années 1920 au Pirée par des troubadours désenchantés. Des hommes principalement mais aussi quelques femmes qui ont été chassés de la terre de leurs ancêtres, l’Asie Mineure. Victimes de la barbarie des Turcs et de l’indifférence des grands de l’Europe, après l’été 1922 ils avaient tout perdu et s’étaient retrouvés à mendier une bouchée de pain dans les grandes villes grecques. Dans ce triste contexte ont poussé et fleuri les rebetika. Dans les bidonvilles, dans les sous-sols des boîtes clandestines aux nuées joyeuses des cigarettes interdites et des nargilés et dans les prisons … car (vous l’avez compris) une bonne partie de ces musiciens noyaient leurs peines dans les drogues qui étaient prohibés par la dictature de l’époque !
Brendan Perry, un des meilleurs ambassadeurs des musiques du monde, revisite cette période via un angle inédit. Il chante en anglais et fait sonner le bouzouki et ses instruments accompagnateurs différemment. Comme un son Dead Can Dance avec le volume, la réverbération et les échos habituels. Sans fioritures, en restant 100% acoustique. Sa voix est grave, masculine, emprunte des rythmes anatoliens et byzantins pour allonger les notes. Les parrains du rebetiko et du laïko (le genre qui lui a succédé) – Vamvakaris, Tsitsanis, Kazandzidis – auraient sans doute été amusés de l’entendre. Cet anglais avec la barbichette qui porte le costume du maggas(*) et qui lui va si bien ! Et en même temps ils auraient éprouvé une certaine fierté que leurs créations vieilles d’un siècle soient toujours écoutées, jouées, revisitées en dehors des frontières grecques.
Cette musique est née underground, connut sa période de gloire en Grèce dans les années 30-50 (avec un intermède d’une dizaine d’années, le temps d’une guerre mondiale et une guerre civile!) et revient depuis quelques années pour être jouée comme il se doit. En underground, dans un cercle restreint d’initiés. Comme une séance de spiritisme joyeuse, capable de réveiller les morts et les faire danser.
(*) Maggas : Adjectif grec qualifiant un homme fier, courageux, intrépide, charmeur, hédoniste.