Rebetiko Gymnastas est un projet musical de toute beauté, unique en son genre. De la musique ethnique au carré !! Le principe est simple : On reprend des chansons d'une musique traditionnelle (le rebetiko des grecs) dans une autre langue (l'italien) avec de nouveaux éléments et orchestrations. Le résultat est fantastique, comme un mariage mixte qui unit deux pays. La voix enrouée de Vinicio Capossela – que beaucoup comparent à Tom Waits - colle parfaitement au bouzouki et surtout à l'état d'esprit initial du rebetiko : Viril, clandestin, underground, prohibé par l'Etat grec qui voyait en lui un véhicule de débauche conduit par des junkies, des bons-en-rien, des musiciens peu fréquentables.
Les 13 reprises de cet album sont belles. Vinicio est allé enregistrer l'album à Athènes avec une majorité des musiciens grecs, quelques italiens et en guest le grand Marc Ribot (le guitariste fétiche de John Zorn). La compatibilité entre musiciens, entre le folklore des deux pays est claire. On est dans le bassin méditerranéen où les êtres et les musiques sont différents et proches à la fois.
La plupart des morceaux ont été traduits en italien. Quelques-uns sont chantés dans leur langue d'origine, le grec. Dont le splendide Misirlou, très éloigné de la fameuse reprise de Dick Dale mais très proche de l'original enregistré au début du siècle dernier à New York par un certain Tetos Demetriades (et qui était à son tour inspiré par un instrumental dont les origines se perdent au fin fond de l'Anatolie).
On retrouve également deux reprises du folklore argentin, au début et à la fin de l'album, qui mélangent rhumba et rebetiko. Un mélange pratiqué dans les années 60 par pas mal de musiciens grecs, notamment le grand compositeur et virtuose du bouzouki Manolis Chiotis. Et cerise sur le gâteau, la chanson fantôme finale (il faut patienter deux minutes avant de la voir apparaitre) qui reprend avec les couleurs grecques un standard du répertoire de Capossela.
La langue de Verdi met une autre dimension au rebetiko, l'internationalise. Elle lui donne aussi une deuxième vie, le fait vivre un siècle après sa naissance au Pirée d'Athènes par des immigrés grecs d'Asie Mineure qui ont tout abandonné pour fuir la folie meurtrière des Turcs. Et qui du fond de leur désespoir - comme les noirs en Amérique avec le blues - ont créé ce genre musical à la frontière de l'orient et de l'occident. Le rebetiko, le blues oriental.
L'idée de facteur multiplicateur local d'une musique ethnique est géniale. Elle ouvre des champs immenses d'exploration musicale, fait connaitre des musiques locales peu connues au reste du monde. Et contribue ainsi à leur sauvegarde, en orientant l'intérêt des amateurs de musique vers des chemins très intéressants et peu fréquentés. Un carré qui se transforme en cercle vertueux. Magique !!