A chaque fois que j'écoute Otis Redding, je me dis que la vie est injuste. Il avait 26 ans lorsqu'on a extrait son corps des eaux froides de ce lac maudit du Michigan, après son mystérieux accident d'avion. A 26 ans il avait réussi à sortir 6 albums - 9 en comptant ses albums posthumes -, à populariser la soul aux Etats-Unis et en Europe, à monter sa société de production et à créer une association de réinsertion des jeunes noirs sur les rails de l'éducation. Peu d’hommes ont accompli autant de choses en si peu de temps.
Otis était le plus rock des chanteurs soul/R'n'B. C'était une force de la nature capable de se donner à 200% pendant ses concerts, à enchaîner une tendre ballade avec un rythme endiablé. Son influence allait au-delà de la sphère soul : Janis Joplin, les Grateful Dead, les Doors, les Rolling Stones, les Beatles, les Led Zeppelin, les Bee Gees comptaient parmi ses fans. Il a décollé comme une fusée depuis les clubs miteux de Macon en Géorgie où il imitait tant bien que mal Little Richard pour atteindre des concerts mythiques à l'Apollo, au Fillmore, au festival pop de Monterey, à l'Olympia.
En Avril 1966, il était parti à la conquête de la Californie et du public blanc. Avec son manager il avait planifié trois dates au Whisky A Go Go, le club légendaire de Los Angeles. L'enregistrement entier des sets était prévu pour la production d'un album live. L'enjeu était très important, Otis le savait. Avec son groupe, il avait longuement répété pour être au top dans la petite salle face à un public non familier aux sons de la soul du sud. Le succès de l'opération fut total ! Le public a été envouté par la musique du grand prêtre qui portait avec sa voix toute l'âme noire du sud.
Mais de retour à la maison, les ingénieurs du son se sont rendus compte que la plupart des bandes étaient inexploitables...à cause d’un trompettiste qui jouait faux! Cinquante ans plus tard, grâce à la technologie, les bandes ont pu être reconstituées. Et un double album splendide a vu le jour, une compilation des meilleurs moments de cette série de concerts.
On est tout de suite (sur)pris par la chaleur et la fièvre d’Otis. On l'entend parler, rigoler, pousser ses cordes vocales et les instruments qui l'accompagnent à leurs derniers retranchements. Les versions des morceaux sont très différentes des versions studio : Il fait durer/monter le plaisir en étirant les ballades ou en appuyant sur l'accélérateur rythmique pour les chansons rapides. On y retrouve principalement ses compositions - il avait non seulement une voix mais aussi un talent exceptionnel de compositeur -. Et trois belles reprises pour finir : A hard day's night, Papa's gotta brand new bag et Satisfaction. Un disque indispensable pour (ré)découvrir le roi de la soul. Le roi du genre musical aux plus belles voix.