Si vous demandez à un fan des Doors quel est son album préféré, vous avez 90% de chances qu’il vous donne un des deux premiers, « The Doors » ou « Strange Days ». Les deux piliers de la légende du groupe américain. Personnellement je fais partie des 10% qui répondront par L.A. Woman, sans hésitation.
L.A. Woman était trois choses à la fois : Une renaissance, un sommet et la fin des Doors. C’est un album d’une énergie brute rarement égalée, une moto lancée à plus de 150km/h qui partait de la tradition blues du pays pour amener la poésie et la vision de Jim Morrison vers un rock nouveau. Ce n’était pas du tout la mort du rock au profit du blues ou de la country dont il parlait dans ses dernières interviews ou l’épique improvisation « Rock Is Dead » des sessions Morrison Hotel. C’était un rock que personne n’avait fait auparavant et qui cinquante ans plus tard reste jeune. Eternellement, comme Jim.
Les Doors ont commencé à enregistrer là où tout avait commencé, au studio de leurs débuts, le Sunset Sound de Los Angeles. La volonté de revenir à leurs racines était là. Suite au départ de leur producteur Paul Rothchild (très affecté de la mort prématurée de son autre protégée, Janis Joplin, dont il venait de finir la prod de Pearl), ils ont vite migré à leur QG, le Workshop, un immeuble avec leurs bureaux, des salles de détente et d’enregistrement. Les musiciens se sont installés dans une chambre qui avait juste la place pour les accueillir avec leurs instruments, l’ingénieur du son Bruce Botnick avec sa console s’est mis à l’étage au-dessus.
Les sessions d’enregistrement étaient live. Ils étaient tous disposés autour d’un cercle, comme dans une séance de spiritisme. Le quatuor Manzarek – Densmore – Krieger - Morrison étaient épaulés de l’excellent bassiste d’Elvis Presley, Jerry Scheff, et le guitariste rythmique Marc Benno.
Ils étaient tous au sommet de leur maîtrise instrumentale, libres, sans chef (producteur) derrière leur dos. Il n’y avait quasiment pas de drogues, pas de parasites qui tournaient autour, juste 6 gars et leur mus(e)ique. Jim était bien, il ne buvait pas, il était sobre, toujours à l’heure et prenait son pied - il suffit d’entendre ses cris et de l’imaginer sauter avec son micro pour entraîner sa troupe -. Les mauvaises langues diront qu’il était bouffi et bedonnant, les bonnes qu’il était naturel, simple et plus terre-à-terre que l’idole dionysiaque perché des débuts.
La quête de la perfection a été mise de côté au profit de la spontanéité. Ils n’ont pas trainé, les sessions d’enregistrement au Workshop ont duré 6 jours seulement ! Dieu créa le monde en 7 jours et les Doors ont créé LA Woman en 6. Une femme aux mensurations parfaites, multi-genre, qui parlait de voyages, de liberté, d’amour, d’amitié, de changement, de tueurs et de serpents … et qui sonnait trop bien.
Dix morceaux constituent la playlist, cinq sur chaque face du vinyle : Une chanson pop pour les charts (Love her madly, la lettre d’amour écrite par Robby Krieger à sa femme), trois blues dont un de leurs débuts (Crawling king snake), deux rocks décapants (The Changeling et LA Woman), une bombe psychédélique (l’America, qui était censé faire partie de la BO de Zabriskie Point d’Antonioni mais que celui-ci n’a pas voulu !), un spoken-word avant-gardiste (WASP) et deux ballades d’une poésie dont seul Jim avait le secret (Hyacinth house et Riders on the storm).
En Février 1971, avant la fin du mixage de Riders on the Storm, Jim a décidé de partir à Paris rejoindre sa copine. Il a fait ses adieux aux camarades en leur distribuant « The Lords and the new creatures », son anthologie de poèmes tirée à très peu d’exemplaires. Ce n’étaient pas des adieux de séparation - encore moins des adieux d’un condamné - mais plutôt des adieux de quelqu’un qui avait besoin de congés sabbatique et qui allait revenir. La frénésie des dernières années l’avait sans doute usé : L’injuste chasse de la justice et de l’Amérique puritaine à son égard, le rythme élevé de travail (6 albums en 5 ans !), son image de rock star, la consommation effrénée d’alcool et de drogues etc. A 27 ans il avait besoin d’un repos bien mérité !
Quelques mois plus tard il était mort. On croyait – comme Janis – qu’il avait laissé derrière lui son démon pour renaitre mais malheureusement il l’a attrapé et tué dans des circonstances obscures. Puis il s’est posé sur sa tombe - la plus recherchée du père Lachaise - comme une invitation de poursuite pour les déraisonnables ou un appel à la résistance pour les raisonnables.
« ΚΑΤΑ ΤΟΝ ΔΑΙΜΟΝΑ ΕΑΥΤΟY » (fidèle à son propre démon).