Souviens-toi, je t'avais emmené, il y a quelques mois, à travers un voyage onirique, prendre le thé eu Sahara. Nous y avons rencontré les Imarhan, ils s'étaient adressés à nous en tamasheq. Aujourd'hui, j'aimerai que tu m'accompagnes vers des terres plus boréales, pas pour voir le Père-Noël (je n'y crois plus depuis au moins un an), ni pour traire ses rennes.
Faisons le grand écart, quittons le Sud Algérien et rejoignons le Nord Norvégien. Partons à la rencontre des Lapons. Allons claquer la bise à Mari Boine.
Portant des vêtements rouges et bleus, elle nous ouvre sa porte, nous offre le café et nous parle en sami. Diantre, que les langues sont belles ! Hier le tamasheq aujourd'hui le sami. Depuis toujours, je suis fasciné par les langues, toujours émerveillé par leur musicalité.
Après le café, la petite dame aux yeux rieurs nous invite à aller nous recueillir dans sa chambre de culte (Balvvoslatjna). On s'y installe solennellement ; la pièce est ronde et austère. Puis, assise en tailleur, Mari brise le silence en saisissant un tambour et en entonnant un joik. Son chant emplit en quelques minutes l'espace de la pièce. Je ferme les yeux. Peu à peu, des images fabuleuses viennent nous rendre visite, des troupeaux de rennes avalant des ours bruns copulant au milieu d'un ban de saumons, Eagleman nous abreuvant de ses paroles, nous inoculant sa sagesse.
La voix et le tambour de Boine ne restent pas longtemps seuls ; c'est tout un orchestre qui se fait entendre désormais. Et, la musique est bonne. Bonne comme la vie pastorale. Bonne et forte comme la nature environnante.
Après 49 minutes de bonheur absolu, le silence revient dans la chambre de culte. Toutes les images, tous les esprits se sont évaporés.
Sûr, ce petit bout de femme, cette grande chanteuse est un vrai Chaman.
On ne sort pas indemne de ce type d'expérience ; dans cent ans, on s'en souviendra encore.
Au revoir Mari Boine ! Continue d'enchanter le monde et de faire vivre la langue sami.
Je vais te faire une confidence : il est un épisode issus des Saintes Ecritures qui me plaît beaucoup ; c'est celui de la Tour de Babel. L'unique langue originelle disparaissant ou éclatant comme une super-nova, pour donner naissance à une multitude d'idiomes et de dialectes. C'est une malédiction pour les fâcheux, mais pour moi, cet épisode est plus que bienfaiteur. Il est à l'origine de la diversité musicale qui nous comble.