Le porte-drapeau du mouvement shoegaze, cette branche du rock alternatif portée par des vagues de distorsion, de voix et des riffs noyés dans des cascades de réverbérations, est sans conteste Loveless du groupe irlandais My Bloody Valentine.
Loveless est sorti au début des années 90, une période mutante où l’enfant rock alternatif devenait adolescent en prenant une voie différente de celle de papa punk. Loveless était un ovni et avec trente ans de recul je lui mets sans aucune objection le titre d’album alternatif majeur. Underground à souhait, libre de toute règle qui bride la créativité, novateur, rêveur, porteur de sons nouveaux, agressifs, progressifs, contemplatifs, alternatifs avec un grand A.
Les effets spéciaux contenus dans cet album – qui au passage a coûté un bras avec ses très longues sessions d’enregistrement et de mixage – sont nombreux, parfois déconcertants. Lors de ma première écoute je me rappelle avoir douté plus d’une fois de la qualité du pressage et de ma platine…j’avais l’impression que la vitesse de lecture partait en vrille, que mes oreilles étaient submergées de signaux incohérents. Un peu comme lorsqu’on est drogué et qu’on voit la réalité à travers un voile qui altère les sens ou un prisme qui les multiplie.
Les puristes de l’harmonie, les ayatollahs qui prônent une musique classique réglée par un métronome, des instruments acoustiques accordés à l’occidentale etc ont toutes les « bonnes » raisons pour fusiller cet album…
Mais sa beauté – et son génie - réside justement dans sa différence. Loveless fait partie de ses œuvres qui nous poussent petit à petit à douter, à remettre en question nos acquis et étendre ainsi notre champ sensoriel. Loveless est une poésie enchanteresse qui transforme le bruit en harmonie, qui donne de la puissance aux dissonances et un espoir de liberté aux fausses notes (mal-aimées) enfermées derrière les barreaux du pentagramme.