Au fond, Nino Ferrer n’était pas le chanteur loufoque des cornichons, telefons, saucissons, mirzas, et autres plaisanteries qui font rire et danser les petits et les grands. Il était formé au jazz, il adorait la soul, il aurait sans doute aimé être noir ! Son écriture était fine, il était à l’aise dans plein de genres différents, de la bossa nova au rock en passant par le jazz, le funk ou la soul. Il faisait partie de la crème des compositeurs français.
Au début des années 70, juste avant la sortie de son célèbre Nino et Radiah avec Le Sud – son adieu au show business -, il a créé deux albums splendides de rock progressif. Métronomie et Nino Ferrer and Legs. Le premier, sorti en 1971, annonçait son virage. Il en avait sans doute marre de l’étiquette qu’on lui avait collée et voulait évoluer vers une musique plus noble. Moins commerciale mais beaucoup plus structurée et complexe musicalement parlant. Il voulait créer des œuvres complètes, des albums et pas des 45 tours pour des compilations. Il voulait être libre !
Métronomie est un album-concept à mi-chemin entre la variété et le progressif, résolument tourné vers l’écologie et la critique de la société de consommation. Sa musique n’a pas été comprise à l’époque. Son public attendait du Ferrer léger des années 60 et ne l’a pas eu. Et un public plus rock qui aurait pu apprécier ces compositions n’était pas au rendez-vous, faute de promotion ou de l’étiquette Nino qui ne l’attirait pas. A côté de titres radio-acceptables comme La maison près de la Fontaine ou l’excellent Allons enfants de la patrie se tenaient le long instrumental progressif Métronomie qui ouvrait l’album ou le délirant (voire dérangeant) Cannabis.
Avec le recul, il s’agit d’un chef d’œuvre du rock français. Avant-gardiste, aux rythmes extrêmement variés et d’une grande profondeur de textes. Les préoccupations écologiques de Nino avaient hélas peu d’écho à l’aube des années 70, où la France était en pleine orgie consommatrice. Aujourd’hui des phrases comme « la viande aux hormones, la mer pleine de merde, le monde en plastique » sont d’une terrible actualité…
Certains disent que le suicide de Nino était lié à l’incompréhension de son œuvre, à la déception de l’artiste déchu. Personnellement je trouve qu’il en faut beaucoup plus pour se tirer une balle avec une carabine. Tout artiste sait au plus profond de lui-même ce qu’il vaut et n’a pas besoin d’applaudissement ou de bonnes critiques pour continuer son chemin. Il savait que sa Métronomie était un très grand album et que sa reconnaissance viendrait tôt ou tard.