Notre mémoire associe souvent une chanson ou un album à une personne et/ou un sentiment. La haine, la joie, la révolte, l’amour fou prend forme avec une série de notes. Et forme une bande originale qu’on écoute les yeux fermés en remontant en surface un film de souvenirs.
Depuis longtemps, j’ai associé Separations de Pulp avec le sentiment de déchirement qui accompagne un amour perdu…C’était le troisième album du groupe anglais, situé entre leurs débuts chaotiques et le succès mondial de His’n’Hers et Different Class. Jarvis Cocker, le leader et compositeur, avait enfin trouvé le line-up parfait (qui allait le suivre jusqu’au split en 2003) et la formule sonore gagnante. Une pop mutante qui pouvait prendre une forme new wave, électronique, acide, classique, expérimentale.
Hélas Separations n’a jamais connu le succès qu’il méritait. Tout était réuni pour donner naissance à une pièce underground, sombre et déprimante. Enregistré en 1989, il n’a pu être produit que 3 années plus tard. Pulp n’était pas à l’époque un des groupes phares de la pop mais le mot pour désigner un magazine ou un bouquin de mauvaise qualité. La maison d’édition était trop petite pour contenir le talent du groupe. La pochette et le titre n’avaient rien d’attrayant. Jarvis était en plein chagrin amoureux, ça se sent au niveau de la musique, des paroles, des titres des morceaux : Love is blind, Don’t you love me anymore?, She’s dead, Separations, Death II...
Il est clair que les plus belles œuvres s’écrivent lorsque leurs créateurs sont à un sommet ou un gouffre. Dans une situation extrême où tous les sens atteignent leur paroxysme et sont poussés à bout. Separations est un cri d’une beauté inouïe sorti du fond d’un gouffre. Avec des mélodies qui viennent des abîmes du cœur, des rythmes dignes des plus beaux crépuscules, des orchestrations imprégnées de romantisme d’un autre siècle.
Mais il n’y a pas que des violons et des claviers qui sonnent comme des clavecins pour nous faire pleurer ! La deuxième face est beaucoup plus dansante, avec des beats disco et de l’acid house. Countdown et My Legendary Girlfriend sont résolument tournés vers la future signature sonore de Pulp qui allait les faire décoller.
Et que dire des paroles ? Portées par une voix très sensuelle (pour ne pas dire sexuelle), elles regorgent de poésie. Elles nous parlent d’abandon, de désespoir, de mort, d’amours imaginaires, d’amours perdus, d’amour avec un grand A. Âmes insensibles s’abstenir !